Dimanche dernier, nous avons déjà rencontré la figure du publicain. Cette corporation très mal vue de la population car ils sont au service de l’occupant romain pour collecter les impôts. Ils ont la réputation d’être voleur en s’enrichissant sur le dos des honnêtes gens mais aussi collaborateur avec l’ennemi. Aujourd’hui, l’évangile nous donne de rencontrer un publicain et pas n’importe lequel : Zachée, le chef des publicains. Un homme honni par le peuple, un pécheur ! Zachée, un homme exclu par la foule : il est de petite taille ! Il n’entre pas non plus dans le canon de la beauté et se sent doublement exclu de la société… c’est peut être cette première souffrance qui a fait de lui un homme qui a cherché le pouvoir et qui a voulu écraser l’autre en devenant riche, en devenant grand aux yeux du monde.
Au fond de lui, cet homme exclu, à qui l’on fait payer son handicap et aussi le moyen, aussi peu juste soit-il qu’il a choisi pour être reconnu, a un cœur bon. Il aspire lui aussi au bonheur, c’est à dire à rencontrer Dieu. Ainsi, Zachée entend ce qui se dit sur Jésus : les miracles qu’il accomplit, l’accueil qu’il fait aux petits, aux exclus… et il cherche à voir qui est ce prophète dont on parle tant. Au risque du ridicule, mais aussi dans une mise à l’écart supplémentaire dans son désir de rencontre de Dieu, Zachée monte dans un sycomore pour voir passer Jésus. Il n’arrive pas à se frayer un chemin au milieu de la foule.
C’est là que va se produire ce qui sera un scandale pour les uns et source de Salut pour Zachée : Jésus le voit et s’invite chez lui ! «Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi.» (Luc 19,5) Jésus va chez un pécheur ! Honte, c’est contraire à la loi, c’est se rendre impur. Mais cette parole va provoquer chez Zachée (dont le nom signifie ‘Dieu se souvient’) une joie profonde mais aussi une authentique conversion. Zachée est aimé de Dieu pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait. Dieu ne s’arrête pas à la petite taille de Zachée ni à son désir de pouvoir, Jésus révèle à Zachée le désir de Dieu. Alors que la vie de Zachée se trouve dans une impasse comme au bord d’un précipice, voilà que cette parole de Jésus lui ouvre un avenir ou plus exactement un aujourd’hui : maintenant, ici, tout de suite, Dieu lui montre son amour. «Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison». (Luc 19,9)
Cet aujourd’hui est bien sûr le présent de Zachée mais il est aussi l’aujourd’hui de l’évangéliste Luc et de la communauté chrétienne à laquelle il s’adresse. Mais cet aujourd’hui est aussi notre aujourd’hui à nous, notre présent. Aujourd’hui, Jésus nous dit à chacun, dit à notre communauté chrétienne, « aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi. » « aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison. »
Entendre cette parole, c’est, pour nous comme pour Zachée, descendre du sycomore de notre orgueil et de nos préjugés, c’est laisser Dieu poser sur moi son regard alors que je n’ai pas l’impression de répondre aux canons de la beauté édictés par notre société, de ne pas avoir la taille mannequin idéale. Tous nous sommes, quelque part des Zachée qui avons besoin d’être sauver. Alors inutile de nous efforcer à chercher une perfection qui n’existe que dans nos rêves de puissance, inutile de chercher à dépasser les limites de nos péchés. Dieu s’est fait proche. Il s’est abaissé jusqu’à nous, Lui le Très Haut est le très bas ! Zachée découvre par la parole de Jésus, que pour trouver Dieu, il lui faut descendre… Jésus est plus bas que lui, il y a plus petit que lui… et cette petitesse est force d’Amour, cette petitesse est l’Amour !
La force de cet Amour remet Zachée au cœur de la communauté. L’appel de Jésus replace Zachée au milieu de ses frères et en fait l’objet de leur attention. Zachée s’ouvre à la joie du pardon et au partage avec ses frères. Par l’offrande qu’il fait, Zachée reconnaît qu’il n’a plus besoin du pouvoir qui le protégeait des hommes, il les reconnaît pour ses frères. Zachée qui a toujours vécu dans l’isolement, retrouve la joie de la présence intime avec le Seigneur, la joie de son amour profond et inconditionnel. Et la joie de cet amour, de cette présence retrouvée ouvre à l’amour et au partage avec les autres.
« Aujourd’hui… », oui, aujourd’hui, Jésus s’adresse à nous, à moi. « Descends vite, le Salut est arrivé pour cette maison. ». A moi, le Zachée du vingt-et-unième siècle, Jésus m’invite à quitter mon goût d’amasser des richesses, mon attrait d’un pouvoir dominant, mais aussi de tout ce qui m’enferme dans la solitude : la peur des autres, la méfiance excessive, le repli sur la vie privée, le refus des relations, le goût pour le confort matériel, la consommation ou l’activité à outrance, qui étouffe ma vie spirituelle ; mais aussi de cette maladie de l’indifférence qui ne cesse de gagner nos villes et nos campagnes.
« Descends vite, aujourd’hui je veux demeurer chez toi »… Jésus me crie son désir de m’aimer et d’être pleinement présent au cœur de ma vie… vais-je refuser ce bonheur ? Non, je n’en suis pas indigne, Dieu me connait mieux que moi-même et il sait mon plus profond désir d’être aimé de lui… Et comme pour Zachée, il m’offre son pardon, sa miséricorde… vais-je refuser d’entrer sur ce chemin de bonheur ? Vais-je accepter de me dépouiller de mon orgueil ?
Puissions-nous, à la fin de cette homélie, réentendre la superbe prière du livre de la Sagesse proclamée en première lecture. Parole de reconnaissance adressée à Dieu, parole de gratitude qui ouvre un a-venir en Dieu :
Seigneur, tu as pitié de tous les hommes,
parce que tu peux tout.
Tu fermes les yeux sur leurs péchés,
pour qu’ils se convertissent.
Tu aimes en effet tout ce qui existe,
tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres ;
car tu n’aurais pas créé un être
en ayant de la haine envers lui.
Et comment aurait-il subsisté,
si tu ne l’avais pas voulu ?
Comment aurait-il conservé l’existence,
si tu ne l’y avais pas appelé ?
Mais tu épargnes tous les êtres,
parce qu’ils sont à toi,
Maître qui aimes la vie,
toi dont le souffle impérissable anime tous les êtres.
Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu,
tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent,
pour qu’ils se détournent du mal,
et qu’ils puissent croire en toi, Seigneur.
(Sagesse 11,23-12,2)
Amen.
Homélie pour le 31ème dimanche ordinaire – Année C