Quand nous pensons carême, nous pensons bien souvent à la pénitence. Et c’est vrai, le carême est un temps privilégié pour vivre cette dimension de la vie spirituelle. Cependant, le carême est aussi marqué par une autre dynamique qu’il ne nous faut pas oublier : c’est un temps pour nous rapprocher de Dieu, un temps pour grandir dans l’intimité avec Dieu. L’évangile de la Transfiguration (Luc 9,28-36) que nous venons d’entendre vient nous le rappeler.
Jésus prend avec lui, Pierre, Jean et Jacques. Il les emmène à l’écart, sur la montagne, pour prier. Dans sa prière, Jésus est transfiguré : « l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. » (Luc 9,29) De plus, deux hommes : Moïse et Elie s’entretiennent avec lui. Ces quelques mots sont un enseignement précieux pour nous. Ils nous disent quelque chose de capital sur la prière, premier lieu où grandit notre intimité avec Dieu.
Prier, c’est accepter de se mettre à l’écart pour vivre une rencontre avec Dieu. Aujourd’hui, alors qu’il nous faut être toujours réactifs, productifs, connectés, c’est un véritable combat ! Il nous est bon alors de réentendre ce que Jésus nous dit, dans l’évangile selon saint Matthieu : « Toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui voit dans le secret. » (Matthieu 6,6) Et le commentaire que fait saint Ambroise sur ce texte : « Comprends bien qu’il ne s’agit pas de la chambre formée de murs où ton corps va s’enfermer. Il s’agit de la chambre qui est en toi, où sont formées tes pensées, où demeurent tes sentiments. Cette chambre de la prière est partout avec toi, et partout elle est dans un secret qui n’a pas d’autre témoin que Dieu. » (Saint Ambroise, Commentaire sur Caïn et Abel) S’il est important d’avoir un lieu physique pour me mettre à l’écart pour prier, avec l’expérience, je peux aussi le faire en tout lieu : en entrant dans la chambre de mon cœur.
Prier, c’est vivre une rencontre. Je ne mets pas à l’écart pour avoir de belles idées, de belles pensées. Je me mets à l’écart pour vivre une rencontre avec le Seigneur, pour vivre un dialogue avec Lui. Comment vivre ce dialogue avec Dieu ? Un élément est capital : l’Écriture Sainte, la Bible. Pierre, Jacques et Jean, dans l’expérience de prière qu’ils font, voient Jésus s’entretenant avec Moïse et Élie. Moïse représente la Loi et Élie les prophètes. A eux deux, ils sont les piliers de la Première Alliance. Cette Première Alliance est éclairée par la figure de Jésus en qui s’accomplit toute l’Écriture, toute la Parole de Dieu. Prier est donc vivre une rencontre avec le Père à travers sa Parole, en se mettant à l’écoute de celle-ci : la lisant, la méditant, la ruminant. C’est apprendre à entendre le Père me dire : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le. » (Matthieu 6,35) Prier, c’est donc aussi apprendre à faire silence pour entendre le Père me parler.
Prier, c’est laisser Dieu agir en moi ! Dans cette écoute, dans ce dialogue avec le Seigneur, j’apprends aussi à laisser Dieu agir en moi. Comme pour Jésus, dans ma rencontre priante avec le Père, il se passe quelque chose en mon for interne. L’effet ne sera certainement pas aussi spectaculaire que la transfiguration de Jésus mais dans la fidélité que j’aurais à vivre cette rencontre, peu à peu ma personnalité, ma vie va être transfigurée. Elle va laisser transparaitre quelque chose de la lumière de Dieu. La prière « est communication avec Dieu et union avec lui. De même que les yeux du corps sont éclairés quand ils voient la lumière, ainsi l’âme tendue vers Dieu est illuminée par son inexprimable lumière. » (Homélie du 5ème siècle).
Prier, c’est une expérience intime, même quand celle-ci est communautaire telle que l’Eucharistie que nous célébrons ce jour. Il n’est pas toujours facile, et même pas forcément bon, d’en exprimer de suite les grâces reçues parce que je ne les perçois pas forcément tout de suite. Ce n’est qu’après la résurrection de Jésus que Pierre, Jacques et Jean, purent raconter ce qui s’était passé.
Ainsi, cet évangile de la Transfiguration nous invite à grandir dans notre proximité avec le Seigneur par la prière. Celle-ci aura un rayonnement sur tout le reste de notre vie et nous donnera la force nécessaire pour faire de notre vie œuvre de miséricorde. « Prier n’est pas une façon de fuir, ni de se mettre dans une bulle, ni de s’isoler, mais d’avancer dans une amitié qui, au fur et à mesure qu’elle croît, nous fait entrer en contact avec le Seigneur, « véritable ami » et « fidèle compagnon » de route, avec lequel « tout peut se supporter », parce que toujours « Il nous aide et nous donne du cœur, jamais il ne nous manque. » (Pape François, lettre à l’évêque d’Avila pour le 5ème centenaire de la naissance de Ste Thérèse d’Avila)
En ce temps de Carême, et en cette Année Sainte de la Miséricorde, cherchons coûte que coûte à entrer dans une amitié toujours plus grande avec le Christ en prenant le temps de rencontres intimes avec Lui : personnellement ou à travers ce qui nous est proposé en communauté. Amen.