Voici le texte d’une conférence sur le chapitre 9 de l’exhortation apostolique “La Joie de l’Amour” du pape François. Cette conférence s’inscrit dans le cadre d’une série de conférence donnée dans le diocèse d’Amiens.
Le chapitre 9, intitulé « Spiritualité matrimoniale et familiale », est le dernier chapitre de l’exhortation apostolique « Amoris Laetitia ». Dans ce chapitre, le pape François ne clôt pas l’exhortation mais il ouvre un chemin pour la vie quotidienne du couple et de la famille, un chemin à vivre, jour après jour, en présence de Dieu ! Pour cela, le pape François propose une spiritualité matrimoniale et familiale enracinée dans le mystère pascal et fondée sur la communion, une spiritualité de l’attention, de la consolation et de l’encouragement.
Définition de la vie spirituelle
Le pape nous parle de spiritualité… aussi, avant d’aller plus loin dans notre propos, il me paraît important de définir ce qu’est la spiritualité ou plus exactement la vie spirituelle.
La vie spirituelle est la relation vitale que le baptisé entretient avec le Père, le Fils et le Saint Esprit dans son état de vie propre. Le concile Vatican II, dans le décret sur l’apostolat des laïcs, nous enseigne que
« cette spiritualité des laïcs doit revêtir des caractéristiques particulières suivant les conditions de vie de chacun : vie conjugale et familiale, célibat et veuvage, état de maladie, activité professionnelle et sociale. » (Vatican II, décret Apostolicam actuositatem, n°4)
L’inhabitation de Dieu, source de la spiritualité
La vie spirituelle trouve sa source dans l’inhabitation de Dieu. Ce terme utilisé par le pape au numéro 314 peut nous surprendre. Qu’est-ce que cela signifie ?
Dieu Trinité, c’est-à-dire le Père, le Fils et le Saint Esprit, vit dans le cœur de chaque être humain. L’Esprit du Père et du Fils habite dans le baptisé et il lui inspire son chemin selon son état de vie. Dieu, par sa grâce, habite au cœur du baptisé mais aussi il habite au cœur du couple et de la famille qui a choisi de vivre de la grâce du sacrement de mariage.
Grâce et vie mystique
Celui qui vit de la grâce de Dieu c’est-à-dire celui-ci accueille consciemment le don de Dieu, la vie de Dieu qui lui est donnée, non pas en fonction de ses mérites, mais gratuitement, entre sur le chemin de la vie mystique. Celui qui accueille la grâce de Dieu dans le sacrement du baptême, de la confirmation, du mariage, de l’ordination… devient un mystique ! Soyez rassurés ce n’est pas pour cela que vous aurez des extases ou des faveurs extraordinaires ! Tout chrétien, qui accueille la grâce, est un mystique car il vit du Mystère de Dieu qui se révèle dans l’histoire. Chacun, selon son état de vie, est appelé à approfondir ce Mystère et à en vivre. Cette communion est un chemin de sanctification dans la vie quotidienne.
Après avoir défini la vie spirituelle, l’inhabitation de Dieu, la grâce et la vie mystique, il nous faut entrer maintenant dans le concret de sujet… car une véritable spiritualité est bien incarnée dans la vie quotidienne !
La spiritualité de l’amour exclusif et libre
« Celui qui ne décide pas d’aimer pour toujours a du mal à pouvoir aimer vraiment pour un seul jour. » (Saint Jean-Paul II, Homélie à l’occasion de l’eucharistie célébrée pour les familles à Córdoba (Argentine), 8 avril 1987, citée dans Amoris Laetitia au n°319.)
Ces mots du saint pape Jean-Paul II résume quelque chose de l’engagement pris au jour du mariage par chacun des époux. En aucun cas, ces mots ne peuvent exprimer une loi vécue uniquement avec résignation. Il est nécessaire de laisser la Parole de Dieu l’éclairer :
« Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu 28,20)
Le lien qui unit les époux est un lien libre quand chacun découvre que l’autre n’est pas sien, mais qu’il a un maître beaucoup plus important : son unique Seigneur qui occupe le centre de sa vie.
Il y a un point où l’amour des conjoints atteint sa plus grande libération et devient un lieu d’autonomie saine : lorsque chacun découvre que l’autre n’est pas sien, mais qu’il a un maître beaucoup plus important, son unique Seigneur. Personne ne peut plus vouloir prendre possession de l’intimité plus personnelle et secrète de l’être aimé et seul le Seigneur peut occuper le centre de sa vie. (Amoris Laetitia, n°320)
Le pape exprime, ici, un réalisme spirituel qui libère des illusions sur l’autre et fait cesse d’attendre de cette personne ce qui est uniquement propre à l’amour de Dieu.
Pour une spiritualité concrète
Pour développer cette spiritualité de l’amour familial, il est nécessaire de l’inscrire dans une spiritualité concrète, « faites de milliers de gestes réels et concrets » (Amoris Laetitia, n°315) Ces gestes manifestent le don de soi et ils font grandir la communion car ils manifestent l’amour de Dieu, la présence de Dieu au cœur de la famille.
« La présence du Seigneur se manifeste dans la famille réelle et concrète, avec toutes ses souffrances, ses luttes, ses joies et ses efforts quotidiens. » (Amoris Laetitia, n°315)
La présence de Dieu se trouve dans les peines et les joies du quotidien, dans les gestes réels et concrets de la vie, dans les efforts du quotidien. C’est là que j’apprends à aimer mon prochain : au cœur des exigences de la vie fraternelle et communautaire. Cette exigence est le lieu de l’ouverture du cœur et d’une rencontre toujours plus profonde avec le Seigneur.
« Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, en nous son amour s’accomplit. » (1 Jean 4,12)
La communion murit de cette variété de dons et de rencontres et c’est là que Dieu établit sa demeure. C’est là que la famille entre sur le chemin de la sanctification.
Une spiritualité nourrit par la prière
Pour cela, il est important de nourrir la spiritualité conjugale et familiale par la prière. Sur ce sujet, laissons parler le pape François :
« La prière en famille est un moyen privilégié pour exprimer et renforcer cette foi pascale. On peut réserver quelques minutes chaque jour afin d’être unis devant le Seigneur vivant, de lui dire les préoccupations, prier pour les besoins de la famille, prier pour quelqu’un qui traverse un moment difficile, afin de demander de l’aide pour aimer, rendre grâce pour la vie et pour les choses bonnes, pour demander à la Vierge de protéger par son manteau de mère. Par des mots simples, ce moment de prière peut faire beaucoup de bien à la famille. » (Amoris Laetitia, n°318)
Et il poursuit quelques lignes plus loin :
« Le chemin communautaire de prière atteint son point culminant dans la participation à l’Eucharistie ensemble, surtout lors du repos dominical » (Amoris Laetitia, n°318)
Nous pouvons réécouter les mots du Christ dans l’Apocalypse :
« Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » (Apocalypse 3,20)
L’Eucharistie est le point culminant du chemin de la vie communautaire, sacrement de l’Alliance, force et encouragement pour vivre l’Alliance matrimoniale.
Une spiritualité de l’attention, de la consolation et de l’encouragement
Pour développer ce point de la spiritualité, le pape prend une image qui lui est chère : l’hôpital !
« La famille est depuis toujours l’hôpital le plus proche. » (Amoris Laetitia, n°321)
A plusieurs reprises, le pape a comparé l’Eglise à un hôpital campagne après la bataille. La priorité de celui-ci est de soigner les blessures. Ici, François lance le même appel aux familles : prendre soin les uns des autres, se soutenir, s’encourager… et non pas mettre en relief les défauts et les erreurs de l’autre !
Les époux
« sont entre eux reflets de l’amour divin qui console par la parole, le regard, l’aide, la caresse, par l’étreinte. » (Amoris Laetitia, n°321)
Jésus est le modèle pour les familles. Lorsqu’une personne s’approchait de lui pour parler, il s’arrêtait, posait sur elle son regard, et la regardait avec amour. En sa présence personne ne se sent négligé mais entend la question :
« Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Marc 10,51)
Le pape nous invite à vivre cette expérience spirituelle :
« contempler chaque proche avec les yeux de Dieu et de reconnaître le Christ en lui. » (Amoris Laetitia, n°323)
Pour aller plus loin dans cette imitation du Christ au cœur de la famille, le pape définit la vie de famille comme un « mener-paître » miséricordieux. Il écrit :
« Chacun est un « pêcheur d’hommes » (Lc 5, 10), qui au nom de Jésus jette les filets (cf. Lc 5, 5) dans les autres, ou un laboureur qui travaille cette terre fraîche que sont ses proches, en stimulant le meilleur en eux. La fécondité matrimoniale implique de promouvoir, car « aimer un être, c’est attendre de lui quelque chose d’indéfinissable, d’imprévisible ; c’est en même temps lui donner en quelque façon le moyen de répondre à cette attente ». Il s’agit d’un culte à Dieu, parce que c’est lui qui a semé de nombreuses bonnes choses dans les autres en espérant que nous les fassions grandir. » (Amoris Laetitia, n°322)
Ainsi, fonder une famille, c’est participer à la construction d’un monde où personne ne se sentira seul, et l’hospitalité est encouragée par la Parole de Dieu :
« N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges. » (Hébreux 13,2)
« Lorsque la famille accueille et va vers les autres, surtout vers les pauvres et les abandonnés, elle est « symbole, témoignage, participation de la maternité de l’Église ». (Amoris Laetitia, n°324)
Une spiritualité marquée par le mystère pascal
Tout ce chemin ne peut être vécu si il n’est pas en lien avec le mystère pascal. Les difficultés, les souffrances et les angoisses sont à vivre à la lumière de La Croix, en union avec Jésus abandonné. En union avec lui, chacun, dans la famille, est invité à vivre les difficultés et les souffrances en offrande. Plus encore, le pape invite à vivre à la lumière de la résurrection tous les moments de joie : l’union des époux, le repos, la fête…
« Les conjoints constituent par divers gestes quotidiens ce lieu théologal où l’on peut faire l’expérience de la présence mystique du Seigneur ressuscité ». (Amoris Laetitia, n°317)
En conclusion
Au numéro 325, qui conclut l’exhortation, le pape termine par un vibrant appel :
« Cheminons, familles, continuons à marcher ! » (Amoris Laetitia, n°325)
Cette image renvoie à de nombreux textes bibliques : le peuple qui marchait dans le désert, Jésus qui parcourt les routes de Palestine, les disciples qui rencontrent le Ressuscité sur le chemin d’Emmaüs…
Se reconnaître en chemin, c’est admettre que tout n’est pas parfait, que nous ne sommes pas encore arrivé, qu’il reste des choix à faire, des options à prendre, des discernements à opérer.
Se reconnaître en chemin, c’est aussi reconnaître ce qui nous fait avancer : les autres, principalement dans la famille. Ils nous aident à trouver : notre chemin pour être heureux, la communauté et l’Église mais aussi la grâce de Dieu qui rend possible des chemins même dans les situations les plus compliquées !
« Ne désespérons pas à cause de nos limites, mais ne renonçons pas non plus à chercher la plénitude d’amour et de communion qui nous a été promise. » (Amoris Laetitia, n°325