Dimanche de Laetare : la joie du retour au Père

En ce quatrième dimanche de Carême, que l’on appelle le dimanche Laetare ou dimanche de la joie, l’Église nous invite à faire une pause dans notre marche pénitentielle. Les ornements roses que je porte nous rappellent que la lumière de Pâques commence déjà à poindre à l’horizon. Cette joie n’est pas superficielle – elle est celle de la miséricorde divine qui nous attend et qui est au cœur de l’Évangile de ce dimanche.

La parabole du père et des deux fils, dite « parabole du fils prodigue », est l’une des plus belles pages de l’Évangile. Chacun de nous peut s’identifier, à un moment ou un autre de sa vie, à l’un des trois personnages. Prenons le temps de les regarder attentivement.

Commençons par ce fils cadet qui réclame sa part d’héritage : « Père, donne-moi la part de fortune qui me revient. » (Lc 15,12) Cela revient à dire : « Pour moi, tu es déjà mort. Je n’ai pas besoin d’attendre ton décès pour prendre ce qui me revient. » Sans aucun égard pour l’amour paternel, il rompt la relation, quitte la maison familiale pour un pays lointain, en quête d’une liberté qu’il confond avec l’absence de limites.

Ce fils, n’est-ce pas un peu chacun de nous ? Combien de fois avons-nous cru trouver le bonheur en nous éloignant de Dieu, en vivant selon nos propres règles, en dilapidant les dons reçus ? La fortune qu’il gaspille, ce sont tous ces dons que Dieu nous a confiés : notre vie, nos talents, notre temps, notre capacité d’aimer.

Mais que se passe-t-il ensuite ? « Une famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. » (Luc 15,14) L’épreuve révèle souvent la fragilité de nos constructions. Quand tout va bien, nous pouvons avoir l’illusion de nous suffire à nous-mêmes. Mais quand survient la difficulté, la maladie, l’échec, la solitude, nous découvrons notre vulnérabilité.

Le texte nous dit alors une chose magnifique : « Il rentra en lui-même. » (Luc 15,17) Voilà le premier pas de toute conversion : revenir à soi, à cette voix intérieure qui nous rappelle notre vraie dignité. Dans le bruit et l’agitation de nos vies, nous vivons souvent à la surface de nous-mêmes. Le Carême est justement ce temps privilégié pour rentrer en nous-mêmes, pour retrouver cette profondeur où Dieu nous parle.

Le fils se souvient alors de la maison de son père, où même les ouvriers ont du pain en abondance. Sa démarche est d’abord motivée par la faim, reconnaissons-le. Mais il y a plus : il prépare sa confession, il reconnaît son péché. « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. » (Luc 15,18-19) Il est prêt à renoncer à sa condition de fils pour devenir serviteur. C’est déjà une forme d’humilité qui ouvre à la réconciliation.

Mais voici le cœur de la parabole : ce père qui attendait. « Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. » (Luc 15,20) Quelle image saisissante ! Un père qui court – chose peu convenable pour un homme de son rang dans cette culture – qui étreint et embrasse son fils avant même que celui-ci ait pu prononcer sa confession préparée.

Ce père, c’est le visage même de Dieu que Jésus vient nous révéler. Un Dieu qui respecte notre liberté, même quand nous l’utilisons pour nous éloigner de Lui. Un Dieu qui attend patiemment notre retour, qui guette notre silhouette à l’horizon. Un Dieu qui fait les premiers pas vers nous, qui court à notre rencontre dès qu’il aperçoit en nous un mouvement de retour.

Et les signes de réintégration suivent immédiatement : le plus beau vêtement symbolisant la dignité retrouvée, l’anneau au doigt marquant l’autorité dans la famille, les sandales aux pieds signifiant qu’il est un homme libre et non un esclave. Ce n’est pas un serviteur qui revient, mais un fils qui retrouve toute sa dignité. « Mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. » (Luc 15,24)

Ces paroles résonnent particulièrement en ce temps de Carême, où l’Église nous invite à redécouvrir le sacrement de réconciliation. Dans la confession, nous faisons l’expérience concrète de ce père qui nous accueille avec tendresse, qui nous relève et nous restaure dans notre dignité d’enfants de Dieu.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le fils aîné entre en scène. Fidèle, travailleur, il n’a jamais quitté la maison. Entendant la musique et les danses, il s’informe et apprend le retour de son frère. Sa réaction ? La colère et le refus d’entrer.

Sa colère est humainement compréhensible : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras ! » (Luc 15,30)

N’avons-nous jamais ressenti cette injustice apparente ? Pourquoi tant de joie pour celui qui revient, et si peu de reconnaissance pour celui qui est resté fidèle ? C’est le mystère de la grâce qui semble parfois contredire notre sens humain de la justice.

La réponse du père est sublime : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » (Luc 15,31) Le fils aîné n’a rien perdu de son héritage. Ce qui lui manque, c’est de comprendre la gratuité de l’amour. Il voit sa relation avec son père sous l’angle du mérite et du droit, quand il s’agit d’amour et de don. Il dit « je te sers » comme un esclave, non « je vis avec toi » comme un fils. Il n’a jamais vraiment goûté la joie d’être fils.

Et cette parole finale du père : « Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! » (Luc 15,32) La parabole reste ouverte : nous ne savons pas si le fils aîné est finalement entré dans la maison pour participer à la fête. C’est à chacun de nous de terminer l’histoire par sa propre réponse.

Cette parabole nous invite tous à nous situer. Peut-être sommes-nous comme le fils prodigue, ayant besoin de « rentrer en nous-mêmes » pour revenir vers le Père. Peut-être sommes-nous comme le fils aîné, fidèles mais risquant de transformer notre fidélité en droit, oubliant la gratuité de l’amour. Peut-être sommes-nous blessés par quelqu’un et appelés, comme le père, à exercer cette même miséricorde.

Cette parabole nous révèle surtout le visage de Dieu : un Père dont la miséricorde dépasse nos catégories humaines de justice, un Dieu qui court vers nous et qui nous rétablit dans notre dignité d’enfants bien-aimés. Un Dieu qui organise une fête pour chaque pécheur qui se convertit.

En ce dimanche de la joie, laissons-nous toucher par cette miséricorde. Comme le fils prodigue, osons le chemin du retour. Comme le fils aîné, apprenons à nous réjouir du retour de nos frères et sœurs. Et comme le père, devenons témoins de cette miséricorde qui peut transformer notre monde souvent marqué par la rancune et la division.

C’est la miséricorde qui nous rend vraiment joyeux. C’est elle qui nous fait goûter, dès maintenant, à la joie de Pâques qui approche. Amen.


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A propos de moi

Prêtre du diocèse d’Amiens, je suis actuellement curé des paroisses Sainte Colette des Trois Vallées (Corbie) et Saint Martin de l’Hallue (Querrieu)